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Comprendre les identités professionnelles : un regard psycho-social

Comment les rôles, les normes et les appartenances façonnent un parcours


L’identité professionnelle n’est pas ce que l’on fait.

C’est ce que l’on incarne, ce que l’on protège, ce que l’on porte — parfois malgré soi.


1. L’identité professionnelle : un socle invisible mais déterminant


En bilan de compétences, on parle beaucoup de “compétences”, de “motivations”, de “valeurs”. Mais derrière ces dimensions visibles se cache un autre niveau, souvent négligé : l’identité professionnelle.

L’identité professionnelle n’est pas un poste, un statut, ni une fiche de paie.


C’est une construction psycho-sociale :

  • nourrie par les rôles occupés,

  • façonnée par les groupes auxquels on appartient,

  • influencée par le regard des autres,

  • modelée par les normes et les attentes,

  • consolidée par les expériences, parfois par les épreuves.


Elle explique pourquoi certaines personnes s’autorisent, et pourquoi d’autres se contiennent.


2. Une construction psycho-sociale, pas un trait personnel


La psychologie sociale montre que l’identité professionnelle se construit dans un dialogue permanent entre :


• Le rôle

Ce que je fais, mais aussi ce que je crois devoir faire parce que j’occupe ce rôle. Certains rôles valorisent l’initiative, d’autres le service, d’autres encore la retenue.


• L’appartenance

Les groupes professionnels partagent des normes, des valeurs, des comportements “attendus”. Ces normes deviennent des repères… mais aussi parfois des limites.


• Le regard de l’autre

Je deviens aussi ce que je pense qu’on attend de moi. Le regard réel ou supposé façonne l’identité plus qu’on ne le croit.


L’identité professionnelle est donc un mouvement, pas une essence : elle se renforce, se fissure, se réinvente...


3. Pour aider l'accompagnant : 5 identités professionnelles typiques, illustrées et questionnables


Ces exemples ne visent pas à enfermer les personnes dans des cases, mais à aider les consultants à repérer les dynamiques identitaires en séance.


Chaque exemple inclut :

✔ ce que l’identité révèle,

✔ ce qui peut la bloquer,

✔ et des questions puissantes pour ouvrir l’exploration.



Exemple 1 — “Je suis manager, je dois garder la face.”


La personne reste dans le contrôle, le discours technique, la performance. Elle évite ce qui touche à la vulnérabilité.


Ce que cela révèle

  • identité sur-responsabilisée,

  • pression de la réussite,

  • norme de maîtrise émotionnelle,

  • peur de décevoir,

  • rôle confondu avec la valeur personnelle.


Questions à poser

  • Qu’est-ce que le rôle de manager vous autorise… et qu’est-ce qu’il vous interdit ?

  • Qu’attendez-vous de vous-même dans ce rôle ?

  • Qu’est-ce qui se passerait si vous montriez une facette de vous-mêmes moins maîtrisée ?

  • Au-delà du rôle, qui êtes-vous dans votre travail ?



Exemple 2 — “Je suis infirmière, je dois m’adapter.”


La personne minimise ses besoins, justifie tout, s’oublie parfois derrière les autres.


Ce que cela révèle

  • identité fondée sur le soin et le don de soi,

  • loyauté au collectif,

  • sur-adaptation normalisée,

  • difficulté à se prioriser,

  • croyance : “je dois tenir bon”.


Questions à poser

  • D’où vient cette idée que vous devez toujours vous adapter ?

  • Qu’est-ce que cela vous a appris… et qu’est-ce que cela vous coûte aujourd’hui ?

  • Quels sont les besoins que votre rôle vous a habituée à mettre de côté ?

  • Qu’est-ce qui serait différent si vous vous autorisiez un autre mode de fonctionnement ?



Exemple 3 — “Sans mon métier, je ne suis plus personne.”


Souvent lié à des ruptures : burn-out, licenciement, perte d’un poste central.


Ce que cela révèle

  • identité fusionnée avec le rôle,

  • confusion identité personnelle / identité professionnelle,

  • besoin de reconnaissance externe,

  • fragilité du sentiment d’efficacité.


Questions à poser

  • Quand votre identité s’est-elle associée à ce métier ?

  • Qu’avez-vous construit de vous-même à travers ce rôle ?

  • Qu’est-ce qui s’effondre réellement aujourd’hui ?

  • Quelles autres identités existent déjà, même si elles sont moins visibles ?



Exemple 4 — “Je suis technicien, pas un décideur.”


La personne se pense “trop petite”, “pas faite pour…”, se limite dans ses ambitions.


Ce que cela révèle

  • identité assignée par l’environnement,

  • manque de légitimité intériorisé,

  • auto-censure,

  • absence d'autres modèles auxquels s'identifier.


Questions à poser

  • Qui vous a appris que certaines places n’étaient pas pour vous ?

  • Quelles preuves avez-vous que vous ne pouvez pas décider ?

  • Quelles décisions importantes avez-vous déjà prises dans votre vie ?

  • Si vous deviez réécrire votre place, à quoi ressemblerait-elle ?



Exemple 5 — “Je suis un bon second.”


(l’identité de soutien, mais jamais de premier plan)

La personne ne s’autorise pas la première place, même quand elle en a les compétences.


Ce que cela révèle

  • loyautés invisibles (souvent à une figure d’autorité),

  • croyance : “ma valeur est dans le soutien”,

  • peur de décevoir ou de déranger,

  • identité professionnelle construite autour de la discrétion,

  • habitude devenue identité.


Questions à poser

  • Depuis quand dites-vous que votre place est la deuxième ?

  • Qu’est-ce que cela protège en vous, d’être “derrière” ?

  • À qui seriez-vous infidèle si vous preniez plus de place ?

  • Qu’est-ce que cela changerait si vous osiez être numéro un… juste une fois ?

  • Quelle version de vous-même se cache derrière le “bon second” ?



4. L’identité professionnelle : un mouvement


L’identité professionnelle n’est pas un carcan. C’est un paysage : fait d’ancres, de repères, de loyautés, de rôles, de croyances.

Elle peut évoluer, se déplacer, s’élargir.

Accompagner, ce n’est pas seulement aider quelqu’un à se projeter. C’est aussi aider quelqu’un à relire ce qu’il a été, à interroger ce qu’il croit devoir être, et à choisir ce qu’il souhaite devenir.


L’identité professionnelle est un espace de possibles.


En résumé


L’identité professionnelle est :

  • sociale,

  • relationnelle,

  • contextuelle,

  • influencée par les croyances, les normes et les attentes,

  • souvent héritée avant d’être choisie.


Comprendre ces mécanismes, c’est donner à notre accompagné la possibilité de reprendre la main sur ce qu’il veut continuer d’incarner — et ce qu’il souhaite redéfinir.



Pour aller plus loin : quelques références utiles


Les travaux en psychologie sociale montrent que l’identité professionnelle n’est jamais un simple “goût personnel” ou une “tendance naturelle”. Elle se construit dans un ensemble de dynamiques collectives, relationnelles et contextuelles.


Voici les repères essentiels :


1. Tajfel & Turner — Théorie de l’identité sociale

Nous nous définissons à travers nos appartenances. Même un groupe sans histoire ni cohérence crée un sentiment d’identité.

👉 Implication : un métier fortement normé construit des identités puissantes.


2. Goffman — Les rôles et la mise en scène

Dans chaque contexte, nous jouons un rôle : manager, soignant, technicien, expert…

👉 L’identité professionnelle, c’est souvent un “rôle devenu soi”.


3. Steele — Menace du stéréotype

Les stéréotypes (ex. “les techniciens ne dirigent pas”) influencent les comportements réels.

👉 Une identité peut être limitée par un stéréotype intériorisé.


4. Rosenthal & Jacobson — Effet Pygmalion

Les attentes des autres façonnent nos performances.

👉 Les identités professionnelles sont souvent le résultat de ce que l’environnement a projeté sur la personne.


5. Stryker — Identité de rôle

Un rôle valorisé par le groupe devient central dans l’identité.

👉 Certains métiers deviennent “LA” définition de soi.


6. Sherif — Appartenance et frontières du groupe

Nous nous définissons par un “nous” et un “eux”.

👉 Certaines identités pro se construisent par opposition (soignants vs administratifs, technique vs stratégique…).


7. Moscovici — Représentations sociales

Les représentations collectives dictent ce qui est “normal” ou “attendu” dans un métier.

👉 Ces représentations deviennent vite des identités.


8. Turner — Auto-catégorisation

L’identité activée dépend du contexte.

👉 La même personne peut se vivre différemment selon l’environnement.


« Comprendre l’humain, éclairer la relation, transformer les parcours. »


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